Forum des Arts Tribaux

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...L'homme et l'objet s'inscrivent dans le réel et dans l'au-delà. Investi des pouvoirs d'un médiateur, le nganga décode les messages des nkisi, «ces forces non-humaines capturées par les hommes qui les incorporent à un support matériel pour les mettre à leur service» (Marie-Claude Dupré). Son rôle est de concrétiser et de matérialiser les données du surréel.

C'est pourquoi les objets de pouvoir sont doublement marqués par ce qu'ils désignent, le matériel et le spirituel, ainsi que par les forces qu'ils suscitent. Aussi les procédés plastiques mis en ?uvre dans les sculptures chargées s'appuient-ils sur des techniques proches engendrant le même effet de puissance visuelle, caractéristique de l'imposante statuaire songye du Zaïre.

Les grands mankishi songye accueillent presque tous les éléments considérés individuellement comme actifs dans les pratiques dites magiques. Ils se maintiennent les uns par rapport aux autres dans une subtile relation de proximité : malgré la profusion, chaque type d'accessoire conserve sa spécificité. Clous, perles, plumes, fibres et peaux ont conquis leur place sur le bois, laissant à nu seulement les bras, balisant l'espace sculptural de quelques couleurs, du brun pour la corne érigée sur le sommet du crâne, du blanc et du bleu pour les perles qui ornent le cou. Cette présence des différentes composantes connote, selon Dunja Hersak, non seulement la puissance physique, mais aussi le pouvoir que détiennent quelques personnages de la société, les chefs, les chasseurs, les forgerons et lesnganga, ayant le privilège, de par leur statut et leur rôle, d'utiliser ces éléments.

Pour qu'un objet remplisse cette fonction dynamique, il faut l'animer. Au moment où le sculpteur le taille, ce n'est qu'une image, aussitôt transformée par l'adjonction de multiples éléments garants de la puissance et de l'efficience de la pièce.

Le corps originel, celui taillé dans le bois, est mis en déroute, car il s'efface comme pour mieux se masquer ou se protéger. L'aspect anthropomorphe échappe progressivement à la figuration, qui, par maints détails, prend ses distances avec l'humain . Les traits du visage, exacerbés par la présence des plaques de métal, des clous et de la touffe de poils naissant des narines, sont indéfinissables. C'est en fait la combinaison des éléments apparents sur la pièce et des ingrédients formant le bishimba, c'est-à-dire la charge "magique" enfermée dans la corne ainsi que dans le reliquaire ventral, lorsqu'il existe, qui confère une partie du pouvoir des mankishi, pouvoir complété puis consacré par le nganga.

L'ensemble des éléments internes et externes qualifient ces sculptures. Un inventaire quasi exhaustif réalisé par D. Hersak indique que les animaux en constituent la part la plus remarquable. Le bestiaire se diversifie par l'importance accordée aux antilopes, buffles, léopards, lézards, rats musqués, serpents, perroquets, touracos, etc. Ils fournissent d'une part leurs griffes, leurs cornes, leurs fourrures, leurs peaux, leurs odeurs, et, d'autre part, prêtent leurs caractéristiques, qui sont intégrées à un code symbolique pour qualifier les objets de puissance.

Les éléments prélevés sur ces animaux de même que les images qu'ils évoquent sont utilisés dans le cadre des activités de la société kifwebe. Ayant comme supports principaux des masques, le kifwebe, qui n'a pas été adopté par tous les groupes songye, remplit plusieurs fonctions, dont la principale consiste à assurer la police. Les moyens de coercition de cette société sont fréquemment décrits comme étant étroitement liés à la sorcellerie. Celle-ci fait d'ailleurs partie des activités contre lesquelles luttent les mankishi. Les objets doivent aussi protéger des calamités, des intempéries qui se prolongent et des famines.

D'autres types de statuettes, de petite taille, sont plus particulièrement réservés à un usage individuel. Même si elles n'affichent pas autant d'atouts apparents que les mankishi, elles sont très présentes dans la vie quotidienne des individus.

L'importance accordée à la tête du point de vue plastique et symbolique se dénote par la présence d'une corne, parfois de plusieurs. Les mains posées de chaque côté de l'abdomen viennent en souligner la forme protubérante, connotant peut-être la fécondité des femmes, ou le ventre arrondi des enfants en bas âge. Cette partie du corps se trouve parfois doté d'un reliquaire à l'intérieur duquel a été inséré le bishimba...

Par Christiane Falgayrettes-Leveau extrait de "Magies", éditions Dapper, 1996.